« La Technique Alexander, c’est l’esthétique de l’élégance »Surprenante définition que celle-là, lancée par Ignace Vandevivere (1) pour créer un pont, évident selon lui, entre Technique Alexander, histoire de l’art, et recherche en danse. Le Petit Robert, au mot ‘technique’ précise : ‘ensemble de procédés employés pour produire une œuvre ou obtenir un résultat déterminé. Voir Art (teknè)’. L’esthétique, dont la racine grecque nous renvoie, elle, à la sphère du ‘sentir’, est définie comme ‘la science du beau dans la nature et dans l’art’. Enfin, l’élégance, c’est ‘la grâce et la simplicité – Voir aisance, facilité, désinvolture’ Partons de l’élégance. La simplicité – voire même le dépouillement. Tous nos mouvements, notre façon de réagir, notre comportement, sont habituellement régis par un même schéma de coordination. Ce schéma est lié à la réponse à la gravité que nous avons tous graduellement acquise. F.M. Alexander(2) qualifie d’ ‘usage’ cet ensemble de schémas qui détermine notre façon de bouger, de réagir, de fonctionner. Ainsi, quelqu’un qui, simplement debout, aura tendance à raccourcir le cou en accentuant ainsi sa courbure cervicale (avec les conséquences qu’on imagine sur le restant de la colonne, et par conséquent sur la relative liberté des membres), aura généralement pour habitude de raccourcir encore davantage le cou et le dos lorsqu’il fournira des efforts, plus ou moins intenses, dans le mouvement. F.M.Alexander observa, à l’aide de miroirs, ce qu’il faisait réellement lorsqu’il déclamait. Il se rendit compte qu’il tirait la tête vers l’arrière et vers le bas, ce qui avait des conséquences néfastes sur tout son organisme, et particulièrement sur sa respiration et sur sa voix (il devenait aphone sur scène). Il découvrit, à force d’observation et de recherches patientes et obstinées, que ces tensions inutiles et néfastes étaient déjà à l’œuvre dès qu’il décidait de déclamer, et qu’elles étaient d’ailleurs présentes, à des degrés variables mais de façon constante, dans toutes les situations. Et même, que plus l’effort à fournir pour accomplir une tâche lui semblait important, plus son désir de ‘bien faire’ était grand, plus grande la difficulté ou le défi, et plus marquées seraient ces tensions. Le travail de cette Technique, c’est de prendre conscience de ces tensions récurrentes et souvent inconscientes, et d’apprendre à réagir plus librement. Apprendre à penser avant d’agir, à s’arrêter avant de réagir. Cet arrêt, cette suspension, ouvre la porte à d’autres réponses possibles. C’est une invitation à choisir de ne pas mettre en branle nos tensions habituelles, nos schémas de réaction coutumiers. Une forme de dé-conditionnement. Quitter nos habitudes, et accueillir le changement. « You can’t do something you don’t know, if you keep on doing what you do know » (F.M. Alexander) (3) Il s’agit dès lors d’apprendre un nouveau mode d’être, de penser, de bouger. Accepter de faire un mouvement qui nous semble ‘faux’ – le mouvement habituel, avec ses tensions familières, étant celui qui nous paraît ‘juste’. Ne plus, dès lors, trop se fier à la façon dont nous interprétons nos sensations. Rééduquer, en quelque sorte, notre mode de perception. Aller du connu, que l’on perçoit comme ‘juste’, vers l’inconnu, que l’on perçoit initialement comme ‘faux’. Comment parvenir à ce changement ? Le temps est un facteur important, Non pas qu’il faille des siècles pour changer une habitude : « We can throw away the habit of a lifetime in a few minutes if we use our brains » (F.M.Alexander). Mais le temps est l’ingrédient indispensable pour permettre ce processus. Prendre le temps de s’arrêter, pour ne pas réagir à un stimulus de façon irréfléchie en remettant en branle nos tensions habituelles. Se donner du temps pour dire non à ces réponses habituelles. Et ainsi, ne pas se raccourcir, se réapproprier son espace. Ne pas se précipiter vers le but mais privilégier plutôt les moyens pour y parvenir. Quels sont ces moyens ? Dès lors qu’on s’est arrêté, qu’on est revenu à soi, dans le moment présent, la Technique Alexander propose une série de directions très précises, à commencer par la libération du cou, la direction de la tête vers l’avant et vers le haut (c’est-à-dire, pas vers l’arrière ni vers le bas), l’allongement et l’élargissement du dos (c’est-à-dire, son non-raccourcissement), et ainsi de suite. Ces directions sont des intentions, des souhaits, des prolongements dans l’espace. Le cou se libérera si on décide d’arrêter de le raccourcir. La tête ira vers le haut parce qu’on choisit d’arrêter de la retenir vers le bas, etc. Les appuis au sol, dès lors, se feront plus sûrs. Vous l’aurez compris, il ne s’agit en aucun cas de ‘corriger’ un mouvement, de rajouter encore une action supplémentaire. Il s’agit d’en faire moins, de se débarrasser de l’inutile. Un peu comme si, en vélo, on avait l’habitude de freiner en même temps qu’on pédale : d’une part c’est beaucoup plus fatiguant et moins efficace, et d’autre part on risque vite d’user son vélo. Changer de vitesse ou allumer les phares ne change rien au problème. Il suffit de lâcher les freins. Mais sans pour autant lâcher le guidon. Guider, diriger, dans une présence tonique, mais sans freiner. Très concrètement, comment se transmet cette Technique ? Au cours de leçons individuelles, l’enseignant, observant et guidant l’élève par le toucher et la parole, aide celui-ci à prendre conscience de sa manière habituelle de réagir, dans des mouvements aussi simples que se lever et s’asseoir, marcher, se pencher. Et lui propose de diriger autrement ses efforts, en conservant un maximum d’expansion dans l’espace, et en retrouvant ainsi un tonus plus adéquat et une nouvelle liberté de mouvement. « You are not here to do exercises or to learn to do something right, but to get able to meet a stimulus that always puts you wrong and to learn to deal with it. » (F.M Alexander). F.M.Alexander a écrit 4 livres. Il n’y est pas question de beauté, ou d’analyse esthétique du mouvement ou du comportement. Il n’y est pas question non plus de morale. Mais simplement d’une démarche scientifique très rigoureuse guidée par l’observation. La transmission du processus qui y est décrit est de l’ordre d’une expérience sensorielle avant tout. « All that I am trying to give you is a new experience » (F.M.Alexander). Que cette expérience puisse aussi être esthétique, la question reste ouverte. Claire Destrée
(1) Professeur Ignace Vandevivere (1938-2004), qui enseigna l’histoire de l’art à l’Université de Louvain-la-Neuve, en dirigea le Musée, et publia de nombreux articles et livres. (2) Frederick Matthias Alexander (1869-1955), acteur australien, né en Tasmanie, et venu s’installer à Londres en 1904 pour y enseigner sa Technique, notamment auprès des grands comédiens de son temps. (3) Toutes les citations d’Alexander, dans cet article, sont issues de : F.M. Alexander, Aphorisms, London, Mouritz, 2000. Article paru dans ‘NDD l’actualité de la danse’, N°50, hiver 2011 |
Claire Destrée "Un être humain fonctionne de façon globale et ne peut être changé que de façon globale" F.M.Alexander |
|||
(c) Technique Alexander Bruxelles ASBL ¦ Contacts ¦ Powered by 2B.COM sprl |